24 août 2018

Time 6 minutes

World Press Photo : on en jase avec Alexandre Champagne

World Press Photo : on en jase avec Alexandre Champagne

Alexandre Champagne est le porte-parole du World Press Photo Montréal 2018 qui se tient au Marché Bonsecours du Vieux-Montréal du 29 août au 30 septembre. Photographe qui s’est fait connaître par une « photo de batch de muffins en chocolat », il a depuis fait son chemin dans le monde de la photo et la société québécoise à laquelle il est profondément attaché. Ses photos de l'après-tragédie de la mosquée de Québec seront aussi exposées, « une motivation pour aller de l’avant » dans ses projets, lui qui vénère cette institution et les photographes gagnants exposés.

Alexandre Champagne © Mariphotographe | SDC Vieux-Montreal

Photo : Alexandre Champagne © Mariphotographe

« Des belles et bonnes photos », un WPP engagé et esthétique en 2018!

Fan de l’exposition depuis ces débuts à Montréal, il y a 13 ans, Alexandre n’a manqué aucune édition, une assiduité qui lui donne un aperçu des nouvelles tendances dans les sélections : « Je trouve que d’année en année, et c’est comme ça depuis les cinq ou six dernières années environ, on va moins vers la fatalité, l’extrême conflit, on va moins vers la mortalité. J’ai vu cette année plus de photos qui avaient un aspect graphique, dans le sens où c’était vraiment des belles photos.»

Cela dit, l’esthétisme des photos de l’année n’enlève rien au contenu éditorial parfois très fort : « Une bonne photo, c’est une photo qui va raconter quelque chose rapidement, on n’a pas besoin de mot ou quoi que ce soit, et une belle photo normalement, c’est une photo où la beauté passe en premier. En photojournalisme, on pense pas toujours à la beauté en premier, on veut saisir l’action. » explique Alexandre.

« C’est peut-être à cause de la tendance des médias sociaux, mais j’ai senti cette année qu’il y avait un souci de plus sur la beauté de la photo. Il y a un petit quelque chose de plus de ce côté-là. »

Les prouesses techniques et le souci éthique

Au-delà de la beauté ou de la force des photos, la sélection des clichés s’est faite à partir de 73 000 images proposées par 4 500 photographes de 125 pays, dans le respect du vrai. Et c’est là un autre aspect de cette exposition, son rôle de chien de garde de la vérité. La qualité des clichés exposés allient plus que jamais prouesses techniques et souci esthétique sans compromettre l’éthique. « Il y a une règle d’or en photojournalisme, qui dit qu’on ne peut pas modifier quoi que ce soit sur la photo, qui va affecter la réalité.» explique Alexandre. Le travail réalisé sur les photos est très encadré. « On veut calibrer la photo, parce qu’une photo numérique c’est un bloc d’informations qu’il faut traiter pour la rendre plus réaliste, mais on ne va jamais changer quoi que ce soit dans la photo qui va altérer la réalité.»

Si l’éthique de l’organisation et des photojournalistes est très stricte, c’est aussi le geste du public qui compte. L’actualité internationale est souvent le parent pauvre de l’information, alors « aller au World Press Photo, pour moi, c’est un événement, s’imprégner de l’ambiance, constater ce qu’il se passe autour du monde, se rendre là en personne et faire le geste de participer à l’exposition, il y a quelque chose de très fort là-dedans selon moi », souligne Alexandre Champagne.

Pas à sa première, surtout pas à sa dernière! Et vous?

Jamais allé voir l’expo du World Press Photo? Votre vie pourrait changer, ça a été le cas pour le porte-parole de cette année! « La première chose que je voulais, c’était tout quitter et partir autour du monde faire des photos, raconter l’histoire des gens. Mais ça c’est parce que je suis photographe! Sinon, se souvient Alexandre, je me suis senti connecté avec le monde, je sentais qu’ils n’étaient pas si loin que ça, ces gens qu’on voit dans les nouvelles en Asie, en Afrique ou au Moyen-Orient ».

Même si les photos sont disponibles en ligne dès l’annonce des gagnants, rien ne vaut le déplacement, à l’heure où les écrans sont souvent décriés pour nous couper du monde. « On est tellement désensibilisé sur tout que de prendre le temps de regarder, de s’imprégner de la situation, de comprendre, ça fait en sorte que c’est plus réel. On range son téléphone, on n’a pas son ordinateur. Quand tu vas sur internet, souvent tu fais plusieurs choses en même temps. (...) Je pense que de se rendre à l’exposition, c’est encore extraordinaire et pour ça, le WPP a de l’avenir ».

Et question exposition, Alexandre a une routine bien à lui pour se mettre dedans, « je vais me chercher un café et j’y vais le plus tôt possible, quand il fait le plus froid idéalement, je ne sais pas pourquoi, j’aime ça quand il fait bien froid. Je vais voir l’exposition et là vraiment, je prends mon temps pour regarder ce qui se passe.»

La photo gagnante, un coup de maître absolu

World Press Photo | Ronaldo Schemidt | Agence France-Presse | SDC Vieux-Montreal

Titre : Crise au Venezuela
© Ronaldo Schemidt, Agence France-Presse

La photo qui a remporté la compétition a été prise au Venezuela lors d’échauffourées entre les forces de l’ordre et les manifestants. L’un d’eux a littéralement pris feu suite à l’explosion d’un réservoir de moto. « [Cette photo] m’a beaucoup marqué, mais ce n’est pas parce que c’est la photo de l’année, c’est pour la rapidité du photographe à capter ce moment-là, la manière dont ça a été exposé, c’est un exploit technique et la photo est extraordinaire. Ça rallie toutes les forces qu’un photojournaliste doit avoir, toujours aux aguets, prêt techniquement à faire une photo (…) à faire les réglages sur sa caméra pour bien capter la situation et bien raconter une histoire ».

Hors compétition, ses photos seront exposées aussi, à côté de photographes que lui-même admire. Alexandre reçoit l’hommage avec humilité et félicité : « Si tu m’avais dit ça il y a trois ans, (…) je me serais probablement enfler la tête avec ça, mais aujourd’hui mon attitude a changé, je suis une personne qui est en mouvement constamment, donc pour moi, cette étape-là est grandiose et ça me touche énormément. C’est une motivation pour aller plus loin, j’ai envie de participer au World Press Photo éventuellement, d’être accrédité comme photojournaliste et de faire des grands projets, mais surtout ici au Québec, parce que c’est ma terre natale et j’aime ma province, j’adore mon pays, je veux rester ici. ».

Et question passion qui se transmet, Alexandre reconnait que « [son] père est très fier parce que c’est lui qui [lui] a appris la photo et le copain de [sa] mère, décédé il y a 4 ans, qui était photographe aussi, il aurait été vraiment fier ».

De son côté, pour transmettre le flambeau, Alexandre Champagne organise des ateliers à Montréal et à Québec où plus de 800 personnes sont déjà venues. Mi-septembre, le photographe sortira son propre livre, tiré de ses cours. « Je parle beaucoup des intentions, des raisons pour lesquelles on fait des photos, et pourquoi c’est bon d’optimiser son téléphone pour la photographie parce que c’est un outil de storytelling. N’importe qui aujourd’hui peut raconter l’histoire d’une personne inspirante, mettre ça sur les réseaux sociaux et on va découvrir des perles en faisant ça. (…) Je vois à travers cet outil là une manière de réunir les gens, et c’est un peu ça que j’espère faire aussi avec mon livre et mes ateliers. ».